• Chapitre 1 : Un simple accident

     

    Quelques minutes après l’accident, les sirènes des pompiers et des ambulanciers retentissaient déjà. Leurs voitures filaient à toute vitesse pour rejoindre le lieu du drame. Un homme avait vu une voiture s’encastrer dans un arbre, et il avait tout de suite appelé les pompiers. Ces derniers avaient alors contacté les gendarmes. L’accident semblait violent d’après les dires du témoin. Les pompiers craignaient pour la survie des passagers du véhicule accidenté. Une fois alertés, les agents de sécurité avaient tout de suite prévenu, en plus des gendarmes, des ambulanciers pour les accompagner sur le lieu de l’accident.

     

    Les gendarmes sur place étaient sous la responsabilité du lieutenant M. Francel, agent gradé de la gendarmerie. Malgré son « jeune » âge, il avait franchi rapidement les différents échelons faisant preuve de très grandes aptitudes au commandement et d’une résistance peu observée chez d’autres candidats, à l’horreur et aux épreuves physiques. Toutes ces compétences lui avaient valu une rapide prise de grade, ce dont il était extrêmement fier.

     

     

     

    Dès son arrivée sur les lieux, M. Francel avait défini un périmètre de sécurité et demandé à ses hommes de chercher d’éventuelles explications à cet accident. Il fit preuve d’une prise d’initiative très rapide malgré le manque d’envie. Lorsqu’il avait reçu l’appel au poste, il était tranquillement adossé à un fauteuil à boire un café chaud. Lorsque il reçut l’ordre de mission, il se renfrogna en apercevant le mauvais temps dehors. Il n’aimait pas beaucoup travailler de nuit, mais ce qu’il détestait le plus c’était travailler sous la pluie. Il trouvait ces conditions de travail exécrables. Dès qu’il raccrocha le combiné, il prévint son équipe, qui n’avait mis que très peu de temps à se préparer. Quelques minutes après l’appel du témoin oculaire, le camion déboulait déjà dans les rues désertes de la ville. L’avantage de ce temps pluvieux, pensait-il, c’est qu’il n’y a personne sur les routes pour nous empêcher de nous déplacer. C’était bien son unique réconfort, face aux nombreux rideaux d’eau tombant sur le pare-brise.

     

     

     

     

     

    §§§ 

     

     

     

     

     

    Quelques secondes après l’arrivée de l’équipe de M. Francel, les ambulanciers arrivèrent. Devant l’étendue des dégâts, ils ne purent pas grand-chose. La seule chose à faire était d’attendre que la voiture soit désincarcérée pour que ses passagers soient extraits. Les ambulanciers ne souhaitaient pas imaginer l’état des corps à l’intérieur de cette épave qui ressemblait à tout sauf à une voiture désormais.

     

     

     

    Comme il était le gendarme le plus gradé, bien qu’il ne soit pas le plus expérimenté, M. Francel commença son rapport en faisant un état des lieux. Il décrivit l’état de la voiture, de la route, les conditions météorologiques et tout autre détail qui pouvait être important dans la résolution de l’enquête. Ce rapport qu’il allait ensuite transmettre à ses supérieurs était le suivant :

     

     

     

    «Dimanche15 janvier 2017, Reims,19h30.

     

     

     

    Le témoin prénommé Pierre Marquez, nous a appelés après avoir vu l’accident. Il était à sa fenêtre lorsque l’accident s’est produit. Il est donc le témoin principal et probablement l’unique témoin de cet accident de la route. Une enquête sera ouverte sur les personnes avoisinantes. Je vous retranscris le témoignage, bien qu’il fût signalé au témoin d’aller poser et signer sa déclaration :

     

     

     

    « Il était aux alentours de 19h30, je me préparais tranquillement à manger. La fenêtre de ma cuisine donne directement sur la route, et j’ai vu une voiture s’encastrer dans l’arbre. Je ne peux pas vous dire à quelle vitesse le conducteur roulait, mais sa vitesse ne me paraissait pas excessive. J’entends par là que j’ai déjà vu des voitures aller beaucoup plus vite sur cette route. Elle est assez dangereuse avec ces arbres sur les côtés, il suffit de faire un petit écart pour en rencontrer un. Dès que j’ai vu l’accident, j’ai appelé la police pour qu’ils interviennent rapidement.

     

    Vos collègues m’ont demandé si je reconnaissais la voiture, mais je n’ai pas su répondre. La nuit et l’état de la voiture ne permettent pas vraiment une authentification, peut-être qu’avec le jour je la reconnaîtrai. »

     

     

     

    Ce témoignage, important, est consigné dans mon rapport et je vous en mets la copie dans le dossier.

     

     

     

    Après l’intervention de M. Marquez, je suis allé moi-même sur le lieu de l’accident pour faire mon propre rapport. A partir des éléments, voilà ce que j’ai déduit de l’accident :

     

    « Concernant la voiture du conducteur : c’est une voiture française de marque Peugeot et de modèle 207. Elle semble de couleur foncée, mais cela reste à confirmer lors de l’inspection du véhicule. La nuit étant très sombre, il n’est pas facile de définir précisément la couleur. Et ce malgré le fort éclairage utilisé pour désincarcérer la voiture.

     

    La voiture est venue percuter un arbre qui se trouvait à quelques centimètres de la route. La vitesse ne peut pas être estimée mais le choc semble très violent. L’arbre se trouve désormais au milieu du capot de la voiture. Cependant nous savons qu’un choc même à faible vitesse peut provoquer de gros dégâts. Il faudrait faire des tests pour estimer la vitesse de la voiture au moment de l’accident, mais je laisse cela aux experts et j’attendrai leur rapport.

     

    Les airbags de la voiture se sont déclenchés à l’avant du véhicule, mais la tôle est très abîmée, la voiture s’est « compressée » sous le choc, augmentant le risque de blessures pour les occupants du véhicule. »

     

     

     

     

     

    §§§

     

     

     

     

     

    Comme l’état des passagers était très préoccupant, la désincarcération devait être rapide. Des pompiers furent appelés en urgence pour effecteur l’opération, ils connaissaient très bien leur boulot. Grâce à la description des ambulanciers, les pompiers décidèrent d’effectuer une désincarcération par les portières. L’accès à la voiture était assez simple, et les dégâts principalement localisés à l’avant et un peu sur les ailes. Mais cela n’empêchait pas l’accès aux portières ni même à la partie avant. Les pompiers étaient donc venus avec tout le matériel nécessaire.

     

    L’opération fut lancée dès leur arrivée sur les lieux. À l’aide d’une cisaille, ils découpèrent tout d’abord l’aile au niveau de la roue avant pour faciliter l’accès à la portière. Rien que cette découpe fut difficile, la tôle pliée la rendait plus épaisse. Les pompiers s’énervaient du temps mis pour une découpe d’ordinaire simple et rapide. Ils n’étaient pas les seuls, les urgentistes trépignaient également d’impatience. Ils savaient que la survie des passagers dépendait de la vitesse de la désincarcération.

     

    Une fois la tôle découpée et retournée vers le capot, les pompiers employèrent l’écarteur pour accéder à la portière. Ils le placèrent au niveau des différentes charnières, pour les faire sauter les unes après les autres. Cela permit d’enlever la portière côté conducteur. Les ambulanciers glissèrent alors une attelle d’extraction sous le corps du conducteur et le firent tourner pour qu’il ait la tête vers la sortie. Puis vint une deuxième attelle pour la femme côté passager, qui sortit également du côté conducteur. Cela était compliqué, il fallait faire attention au patient, puisqu’il y avait toujours un risque de flexion ou de rotation de la colonne vertébrale.

     

    Pour accéder au corps de la petite fille à l’arrière de la voiture, les pompiers réitérèrent l’opération pour enlever la portière arrière côté conducteur. Une fois la tôle découpée, une troisième attelle vint se glisser sous la petite fille pour la sortir avec encore plus de précaution que ses parents. Son jeune âge rendait ses os plus fragiles.

     

     

     

     

     

    §§§

     

     

     

     

     

    « Concernant les occupants : ils sont au nombre de 3. D’après leur portefeuille, le conducteur et la passagère, Marc et Mathilde Roi, semblent mariés. Le 3ème passager est une petite fille, mais nous ne savons pas son âge. Cependant nous supposons que l’enfant à l’arrière de la voiture est leur fille. Mais cela reste encore à vérifier.

     

    À notre arrivée, aucun des passagers ne semblait conscient. Personne n’a répondu à nos appels. Les pompiers ont donc entrepris de désincarcérer la voiture. Au moment de sortir les corps, les ambulanciers en ont fait une description rapide. Le conducteur, Marc, semble le passager le moins blessé, bien que les ambulanciers ne se basent que sur des faits visuels.

     

    L’homme a les os des jambes cassés, auxquels s’ajoutent le nez cassé et de gros hématomes sur le torse dus à l’ouverture de l’airbag. Mais cela semble à peu près tout, toujours d’après les urgentistes. Leur rapport fait également état de quelques morceaux de verre enfoncés dans les bras provenant de l’explosion des vitres et du pare-brise. Encore une fois, rien de très grave en apparence.

     

    De nombreux os des jambes et des bras semblent facturés chez sa compagne, et des morceaux de verre sont venus se nicher dans différentes parties de son corps. Les jambes, la tête et le torse ont été atteints de nombreuses fois, mais le plus inquiétant était la probabilité que les cervicales soient touchées. Si c’était le cas, cela réduirait grandement ses chances de survie.

     

    Le corps de la petite est moins fracturé que celui de sa mère, mais du sang se voit sur le visage de l’enfant. Elle a probablement heurté le siège, lui ouvrant la tête et créant une possible commotion cérébrale.

     

    Concernant la chaussée, il est à noter que la journée entière fut très pluvieuse, la rendant très glissante. J’ai même remarqué quelques traces d’huiles et d’autres impuretés remontées à la surface avec la pluie. À moins que cela ne soit que des conséquences de l’accident et que la voiture ait quelques fuites. Encore une fois, cela sera confirmé pendant l’expertise.

     

    Bien que la vitesse réglementaire soit de 90km/h, ce tronçon de route est réputé comme très dangereux. D’après mes constations, ce n’est pas le premier accident mortel qui a lieu sur cette route D424. La présence d’une allée d’arbres à quelques centimètres de la route n’autorise aucun écart de conduite.

     

    La dangerosité de la route, ainsi que la présence importante d’eau sur la chaussée peuvent laisser penser à un simple accident. Je n’exclus pas encore cette hypothèse mais il y a un élément à prendre en compte qui me fait penser à autre chose qu’un simple accident. Nulle trace de freinage n’est visible, ni sur la route sur les quelques centimètres de bas-côtés. De nombreuses raisons peuvent expliquer cela : un excès de vitesse combiné à une alcoolémie élevée ; un endormissement au volant de la part du conducteur ; une voiture en mauvais état… Toutes ces hypothèses devront être vérifiées. »

     

     

     

     

     

    §§§ 

     

     

     

     

     

    Suite à l’accident, Marc est amené à l’hôpital avec sa famille. Le trajet depuis le lieu de l’accident et l’hôpital n’est pas très long, ce qui a permis une prise en charge « rapide » des 3 occupants. Rapide, si l’on excepte le temps d’extraction des corps.

     

    À son arrivée à l’hôpital, Marc est tout de suite séparé de sa famille. Lui seul semble à peu près réactif aux différents tests. Sa femme et la petite fille sont déjà plongées dans le coma, leurs corps n’ayant pas supporté la douleur.

     

    Chacun des passagers fut pris en charge individuellement dès l’arrivée aux urgences. Les urgentistes n’étaient sûr que d’une chose, l’identité de Marc et de sa femme. La petite fille leur était pour le moment inconnu, et l’état des deux femmes étaient inquiétant.

     

    M. et Mme Roi habitaient dans un petit village voisin, prénommé Calmplat-et-Boujacourt. Peu connaissaient l’origine de ce nom, mais tous les habitants du village et même ceux aux alentours pensaient que ce nom venait du calme qui résidait toujours dans le village. Comme il était petit et plutôt éloigné des grandes villes, les nuisances urbaines et autres sirènes d’ambulances ne faisaient pas religion. Seuls le marché et le boulanger perturbaient le silence quasiment constant de ce charmant village.

     

    Dans ces villages, la nouvelle se propage à la vitesse de la lumière. L’accident de la famille Roi était déjà commenté par tous les habitants. Ils remettaient en cause la conduite de Marc, s’appuyant sur son penchant pour l’alcool. Dès lors, il devint le souffre-douleur des calmois. Cette aversion nouvelle pour Marc allait être problématique pour la suite de l’enquête.

     

     

     

    À leur arrivée, le médecin présent dans la voiture de Marc décrivit son état, moins critique que les deux autres, et donna les informations nécessaires sur lui. Les urgentistes apprirent donc qu’il s’agissait de Marc Roi, âgé de 35 ans, vivant à Reims ou dans les environs. Ils découvrirent également les circonstances de l’accident, ne remettant pas en cause la responsabilité du conducteur. Ils n’étaient pas là pour juger les actes de Marc, ni même pour les comprendre, ils étaient simplement là pour tenter de le sauver, ainsi que les deux autres passagères. Mais très vite, ils découvrirent l’ampleur des blessures, et ils comprirent qu’il y aurait très peu d’espoir pour Mathilde et la petite fille. Comme elles étaient dans le coma, il n’était pas possible de prévoir leur réveil mais le maximum des soins leur serait donné…. En espérant un possible réveil qui pourrait ne jamais venir.

     

     

     

    La petite fille devait passer des scanners pour rechercher des traces de commotions cérébrales, subir des opérations pour poser des plaques pour les os cassés. Le plus visible restera la cicatrice sur le visage. Elle la gardera à vie, et cela lui rappellera toujours ce triste soir. Les médecins pensèrent qu’elle pourrait s’estimer heureuse si elle vit assez longtemps pour que sa cicatrice commence à « disparaître ». Encore une fois, le plus important aujourd’hui n’était pas l’esthétisme, mais bien entendu la vie de la patiente. Tant de questions à prendre en compte, tant d’incertitudes et si peu de chance de survie. Comment bien faire son travail avec toutes ces questions ? Et pourtant…

     

    Le cas de Mathilde était le plus désespéré. De nombreux morceaux de verre s’étaient logés dans différentes parties de son corps, rendant l’accession à ses organes très compliquée. La première étape consista donc à enlever tous ces fragments de verre, notamment les plus dangereux, ceux présents dans la tête et le torse de Mathilde. Pour le moment, les médecins ne savaient pas si le cerveau ou des organes vitaux étaient atteints par les débris. Il fallait donc les extraire pour faire une première évaluation de l’état de santé de la jeune femme. Cette seule opération avait pris des heures et utilisé pas moins de 2 médecins expérimentés. Et même avec leurs connaissances, l’opération s’était révélée très délicate. Un médecin s’occupait des morceaux nichés dans la tête et l’autre de ceux dans le torse.

     

    Les débris enfoncés dans le torse de la patiente ne présentaient pas, a priori, de grand risque. Le médecin estimait que leur enfoncement n’était pas suffisant pour mettre en péril des organes vitaux comme le cœur, le foie ou le pancréas. Il put donc les enlever « rapidement », et refermer les plaies, prenant soin de vérifier l’état de chaque organe. Il fut surpris de voir qu’aucun gros dégât n’était à déplorer.

     

    Mais le plus gros problème de Mathilde était les morceaux de verre logés dans sa boîte crânienne. Le médecin chargé de les retirer craignait qu’un morceau ait touché le cerveau, mettant en péril l’état de santé de la patiente. Une fois les plus gros morceaux, et surtout les moins dangereux retirés, elle fut amenée au scanner pour observer les débris restant, notamment ceux qui menaçaient le cerveau. Et le résultat fut très inquiétant, pour elle autant que pour les médecins. Personne n’aurait pu penser qu’autant de débris s’étaient logés dans le cerveau même. Au scanner, ils déploraient au moins 5 petits morceaux nichés dans le cerveau. Cette présence augmentait les risques pour la vie de la patiente. Le temps était donc compté. Le neurochirurgien appelé d’urgence observa les scans et donna son avis. Lui aussi fut sceptique quant à la possibilité de survie de la femme, mais il ferait son maximum pour les enlever. Il prévint toute l’équipe que, même s’il enlevait tous les morceaux, la patiente n’était pas sauvée pour autant. Le nombre et l’emplacement de ces débris pouvaient a minima la rendre handicapée moteur. L’opération était risquée, et pouvait provoquer des problèmes au niveau des sens, de la parole etc., voire même la mort. Le désarroi se lisait sur chacun des visages mais tous comprirent les paroles du neurochirurgien. Après cela, la patiente retourna au bloc avec son nouveau médecin. Il entreprit la longue et difficile opération, tout en sachant que les possibilités de réussite étaient très faibles. Il enleva deux morceaux du cerveau lorsque les moniteurs se mirent à sonner en cœur. En tentant d’enlever le 3ème morceau, il avait touché une zone sensible du cerveau. Il connaissait parfaitement le risque au moment il se lança dans l’extraction. Dès l’instant où les moniteurs avaient sonné, il sut qu’il était désormais trop tard. L’opération était trop difficile, et il n’avait pas réussi à la terminer. Il prononça l’heure du décès quelques minutes plus tard avec beaucoup de regrets et sorti tête basse du bloc. Le crâne de Mathilde fut refermé et son corps recouvert d’un drap blanc.

     


  • Commentaires

    1
    Dimanche 30 Octobre 2016 à 10:46

    Article très bien écrit. Ça coule tout seul... J'aime ++++. Un grand BRAVO !

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